Le formateur augmenté : entre intelligence artificielle et intelligence émotionnelle

14 Mar 2025

L’intelligence artificielle (IA) bouleverse le monde de la formation, transformant en profondeur les pratiques pédagogiques traditionnelles. Alors que 78 % des étudiants universitaires utilisent déjà l’IA dans leur cursus, les formateurs sont confrontés à un défi majeur : intégrer ces nouveaux outils sans perdre leur essence humaine. Loin de les remplacer, l’IA se présente comme un formidable levier d’augmentation, offrant des possibilités inédites de personnalisation et d’accessibilité de l’apprentissage.

Entre adaptation technologique et préservation de l’intelligence émotionnelle, le formateur de demain devient un architecte de l’apprentissage, capable de naviguer entre données numériques et accompagnement humain. Cette révolution soulève des questions majeures sur l’éthique, l’accessibilité et le rôle central de l’humain dans la transmission du savoir.

Le secteur de l’éducation et de la formation connaît une mutation radicale. L’intelligence artificielle (IA), notamment ses modèles génératifs, s’impose désormais comme un outil stratégique incontournable. Cette adoption massive traduit une transition profonde des pratiques pédagogiques, tant pour les apprenants que pour les formateurs. Une enquête mondiale du Digital Education Council en 2024 [1] révèle que 78 % des étudiants universitaires utilisent déjà l’IA dans leur cursus, symptomatique d’une appropriation technologique fulgurante. Les formateurs, quant à eux, font face à un impératif : intégrer ces outils pour ne pas être distancés par cette révolution numérique.

Une digitalisation inachevée

La transformation numérique dans la formation, accélérée par la crise sanitaire du Covid-19, demeure inégale et parcellaire. La cohérence de cette transition reste problé- matique. Bien que la majorité des universités disposent aujourd’hui de plateformes numériques, force est de constater que seule une fraction minoritaire de ces outils est exploitée selon une logique pédagogique véritablement innovante, dépassant le simple partage documentaire.

Les défis persistent, exigeant une combinaison de compétences plurielles : pédagogiques, technologiques, graphiques et juridiques. Nombreux sont encore les établissements où la formation repose sur des cours magistraux rigides et des évaluations standardisées, un modèle hérité de l’ère industrielle, désormais en décalage avec les exigences contemporaines d’un apprentissage flexible et ubiquitaire.

Un paradoxe se dessine : les plateformes d’apprentissage en ligne, porteuses de potentielles révolutions pédagogiques, se transforment souvent en « cimetières à PDF », faute d’accompagnement des formateurs. Ce constat révèle une numérisation mal maîtrisée qui, plutôt que de revitaliser les dispositifs de formation, risque de les fragiliser.

Plus préoccupant encore, les formateurs demeurent insuffisamment formés à ces nouveaux outils. À quoi servent des systèmes innovants si leurs utilisateurs n’en maîtrisent pas les fondamentaux ? Cette fracture dépasse la dimension technique pour devenir un enjeu politique et social, où l’investissement dans les ressources humaines reste largement en deçà des besoins effectifs.

L’IA : un levier  de transformation numérique

L’intelligence artificielle recèle un potentiel considérable pour repenser la conception, la diffusion et l’évaluation des formations. Telle un ingénieur pédagogique virtuel, l’IA peut guider les formateurs dans la scénarisation de leurs cours et l’intégration de principes comme la Conception Universelle des Apprentissages (CUA).

Par exemple, une IA pédagogique peut assister les formateurs dans l’application du modèleADDIE, suggérant des activités alignées avec la taxonomie de Bloom pour garantir une progression cognitive optimale. Elle peut également analyser le contenu et proposer des améliorations inclusives, en appliquant les principes du Facile à Lire et à Comprendre (FALC) ou en suggérant des adaptations graphiques pour les apprenants daltoniens ou dyslexiques.

Les plateformes de Learning Management System (LMS) intègrent progressivement des fonctionnalités d’IA facilitant l’appropriation numérique. Apolearn, par exemple, intègre une IA qui aide les formateurs à scénariser leurs formations, à concevoir des modules interactifs et même à corriger les productions des apprenants.

L’efficacité de ces dispositifs est documentée : une étude de Harvard [2] révèle que les étudiants utilisant des tuteurs IA apprennent deux fois plus rapidement et manifestent une motivation accrue. Une étude de l’ISTF en 2024 [3] indique que 72 % des entreprises utilisent ou prévoient d’utiliser l’IA pour construire leurs formations.

Les outils d’intelligence artificielle offrent des possibilités prometteuses pour soutenir les apprenants en situation de handicap. Grâce à des interfaces adaptatives et des technologies innovantes comme la reconnaissance vocale, ces solutions peuvent significativement améliorer l’expérience d’apprentissage. Par exemple, les systèmes de reconnaissance vocale peuvent aider les apprenants dyslexiques en leur permettant d’interagir avec le contenu e-learning de manière plus fluide et personnalisée. Ces technologies ont le potentiel de rendre la formation plus accessible et inclusive.

Un nouveau paradigme pédagogique

L’avènement de l’intelligence artificielle dans le domaine de la formation bouleverse profondément les méthodes d’enseignement traditionnelles. Cette révolution technologique ne se limite pas à la simple automatisation de tâches répétitives ; elle redéfinit les rôles des formateurs et transforme la nature même de l’apprentissage.

Le triangle pédagogique de Houssaye, longtemps considéré comme le fondement de la relation éducative, se voit aujourd’hui enrichi par l’intégration de l’IA. Cette dernière s’immisce dans les interactions entre l’apprenant, le formateur et le savoir, créant ainsi de nouvelles dynamiques d’apprentissage. L’IA intervient désormais dans les trois dimensions de ce triangle : la didactique, la pédagogie et la mathétique.

La didactique, qui concerne la structuration et la transmission du savoir, bénéficie grandement des capacités de l’IA à générer des contenus pédagogiques personnalisés. Des recherches récentes montrent que l’intégration des solutions d’IA dans l’enseignement peut significativement améliorer l’engagement des apprenants en permettant une personnalisation plus fine des approches pédagogiques.

Sur le plan pédagogique, l’IA offre de nouvelles possibilités pour gérer la progression et la motivation des apprenants. Selon une étude du Pôle Léonard de Vinci, 79 % des apprenants estiment que l’IA enrichit leur capacité à résoudre des problèmes complexes et 65 % d’entre eux affirment qu’elle augmente leur productivité et leur performance [4].

Cependant, la mathétique, qui concerne les stratégies cognitives et métacognitives de l’apprenant, reste un domaine où l’humain conserve un avantage certain. Une méta- revue publiée en 2021, analysant les données de 40 000 apprenants et 1 500 formateurs à travers le monde, souligne l’importance de la posture du formateur dans l’engagement et l’autonomie des apprenants [5].

Cette évolution du paysage éducatif soulève des questions éthiques et pratiques. La protection des données personnelles des apprenants, la transparence des algorithmes utilisés et l’équité d’accès à ces technologies sont autant de défis à relever. L’IA Act européen, dont certaines dispositions sont entrées en vigueur en juin 2024, impose de nouvelles régulations qui façonneront l’utilisation de l’IA dans la formation à partir de 2027.

Le rôle du formateur, loin d’être obsolète, se transforme. Il devient un facilitateur, un guide qui doit maîtriser non seulement son domaine d’expertise, mais aussi les outils d’IA à sa disposition. Cette transition nécessite une formation continue et une réflexion approfondie sur les pratiques pédagogiques. Une enquête récente auprès d’enseignants européens montre que la majorité d’entre eux considère que leur rôle s’est complexifié avec l’arrivée de l’IA, tout en reconnaissant que cette évolution a enrichi leur pratique professionnelle.

L’intégration de l’IA dans la formation n’est pas sans soulever des inquiétudes. En France, les préoccupations sont particulièrement marquées, avec seulement 49 % des enseignants qui voient l’IA comme une compétence nécessaire pour l’avenir, contre 74 % aux États-Unis et 70 % au Royaume-Uni [6]. Il est donc impératif pour les institutions éducatives de communiquer clairement sur la place irremplaçable de l’humain dans le processus d’apprentissage.

Ce nouveau paradigme pédagogique, alliant expertise humaine et puissance de l’IA, promet de révolutionner l’apprentissage. Il offre la perspective d’une formation plus personnalisée, plus efficace et plus engageante.

Réinventer la transmission à lère de lintelligence artificielle

La révolution de l’IA dans l’éducation n’est pas simplement technologique – elle est avant tout humaine. Elle nous invite à repenser fondamentalement notre conception de ­ l’apprentissage et du rôle du formateur.

Le formateur n’est plus un simple transmetteur de connaissances, mais un architecte de l’apprentissage, orchestrant une symphonie complexe où l’IA joue le rôle d’un instrument puissant mais non autonome.

Cette mutation profonde exige une remise en question de nos certitudes pédagogiques. L’IA n’est pas une menace pour le formateur, mais une opportunité de transcender ses limites actuelles. Elle libère le formateur des tâches répétitives pour lui permettre de se concentrer sur ce qui fait l’essence même de son métier : l’accompagnement humain, la transmission de valeurs, et le développement de l’esprit critique.

Le formateur de demain sera celui qui saura naviguer entre deux dimensions : celle de l’intelligence artificielle et celle de l’intelligence émotionnelle. Son expertise ne résidera plus uniquement dans sa maîtrise du savoir, mais dans sa capacité à créer des ponts entre ces deux dimensions, à insuffler du sens dans l’apprentissage, et à cultiver chez ses apprenants les compétences essentiellement humaines que sont la créativité, l’empathie et la pensée complexe.

L’avenir n’appartient ni aux technophiles aveugles ni aux technophobes réfractaires, mais aux équilibristes visionnaires qui sauront harmoniser le meilleur des deux mondes. La formation de demain sera augmentée ou ne sera pas, mais cette augmentation doit être pensée, réfléchie et maîtrisée pour servir un objectif fondamental : l’épanouissement et la réussite de chaque apprenant.

Bibliographie

[1] RONG H. & CHUN C. (2024), “Digital Education Council Global AI Student Survey 2024”, Digital Education Council.

[2] MILLER K. & KESTIN G. (2024), “AI Tutoring Outperforms Active Learning”, Research Square.

[3] ISTF (2024), « Baromètre : les chiffres 2024 du digital learning », ISTF.

[4] MASSIAS J. & BERTRAND L. (2024), « L’impact des IA génératives sur les étudiants », Pôle Léonard de Vinci, RM conseil et Talan.

[5] REEVE J. & CHEON S.H. (2021), “Autonomy-supportive teaching: Its malleability, benefits, and potential to improve educational practice”, Educational Psychologist, Vol. 56, pp. 54-77.

[6] CAPGEMINI RESEARCH INSTITUTE (2024), “Harnessing the value of generative AI, 2nd edition 2024: Top use cases across sectors”.

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